Le 23 octobre 2025, l’Estonie a franchi une étape décisive dans le renforcement de sa défense. Le ministre estonien de la Défense, Hanno Pevkur, a signé à Séoul un accord de coopération avec son homologue sud-coréen Ahn Gyu-back. Cet accord ouvre la voie à l’acquisition des lance-roquettes multiples sud-coréens K239 Chunmoo, venant compléter les systèmes HIMARS déjà commandés aux États-Unis. L’objectif : renforcer la capacité de frappe en profondeur de l’Estonie et contribuer directement au développement de son industrie de défense.
Une capacité de frappe en profondeur stratégique
Les récents bouleversements sécuritaires en Europe de l’Est ont mis en évidence l’importance des capacités de frappe à longue portée. En première ligne de l’OTAN, l’Estonie cherche à se doter d’une force capable d’atteindre l’adversaire au-delà de ses frontières, avant même que le combat ne se déplace sur son territoire. C’est ce qu’on appelle la capacité de frappe en profondeur – un atout stratégique qui permet d’exercer une dissuasion crédible contre un ennemi potentiellement supérieur en nombre.
« Il est essentiel pour l’Estonie de pouvoir influencer l’adversaire au cœur même de son territoire », a expliqué Hanno Pevkur. « Nous avons amorcé le développement de cette capacité avec l’achat des systèmes HIMARS américains. Désormais, nous franchissons une nouvelle étape en intégrant la solution sud-coréenne Chunmoo – un modèle déjà adopté par la Pologne. »
Le K239 Chunmoo : la flexibilité au service de la puissance de feu
Le K239 Chunmoo, conçu par Hanwha Aerospace, est un lance-roquettes multiple modulaire capable de tirer différents types de munitions : des roquettes de 130 mm, 230 mm ou 239 mm selon les besoins opérationnels. Chaque véhicule peut emporter deux conteneurs indépendants, offrant une grande flexibilité tactique et logistique.
Comparable dans son concept au système américain HIMARS, le Chunmoo permet une intégration conjointe et une exploitation simplifiée. Les forces estoniennes pourront donc mutualiser la formation, la maintenance et la logistique des deux systèmes. La Pologne, qui combine déjà ces deux technologies, sert ici d’exemple concret d’une coopération réussie entre les industries américaine et sud-coréenne.

Des retombées économiques pour l’industrie de défense estonienne
Au-delà de la dimension militaire, l’accord prévoit des retombées économiques directes. En appliquant le principe de localisation industrielle, une partie importante de la valeur du contrat sera investie dans l’économie estonienne.
« Une part significative du montant total, estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros, sera injectée dans notre industrie de défense », a souligné Pevkur. « C’est une opportunité majeure pour nos entreprises et pour la montée en compétence de nos ingénieurs. »
Les détails techniques du contrat seront discutés entre le Centre national des investissements de défense (RKIK), l’agence coréenne d’exportation et le constructeur Hanwha. Ces négociations aboutiront à la signature d’accords-cadres précisant les volumes, les délais de livraison et les modalités de coopération industrielle.
Une coopération déjà bien établie avec la Corée du Sud
Cette collaboration ne sort pas de nulle part. L’Estonie a déjà travaillé avec Hanwha Aerospace pour l’acquisition des canons automoteurs K9 Thunder. Au total, 36 exemplaires seront livrés d’ici fin 2026, renforçant l’artillerie lourde estonienne. Ces systèmes ont démontré une fiabilité et une efficacité remarquables dans plusieurs armées européennes, dont la Finlande et la Norvège.
Profitant de sa visite à Séoul, le ministre Pevkur a également rencontré les dirigeants du ministère sud-coréen de la Défense et visité le plus grand salon de l’industrie de défense asiatique, ADEX 2025, aux côtés d’une délégation d’entreprises estoniennes. Ces échanges visent à renforcer les liens industriels et à positionner l’Estonie comme partenaire technologique crédible dans le secteur de la défense européenne.
Un tournant stratégique pour Tallinn
Avec l’arrivée des systèmes HIMARS et désormais des Chunmoo, l’Estonie s’engage sur la voie d’une dissuasion active. La combinaison de ces deux plateformes permettra au pays de disposer d’une puissance de feu mobile, flexible et capable de frapper des cibles à plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres. C’est un atout considérable dans un espace aussi restreint que celui des États baltes.
Pour Tallinn, cette évolution n’est pas qu’une question de technologie : c’est un message politique. L’Estonie montre qu’elle entend défendre son territoire, mais aussi être capable de riposter efficacement. Dans le contexte de tensions régionales persistantes, cette nouvelle étape marque un saut qualitatif pour la sécurité nationale et pour la crédibilité de l’OTAN sur son flanc Est.
L’accord entre l’Estonie et la Corée du Sud illustre une vision moderne de la défense : combiner puissance militaire, autonomie industrielle et partenariats stratégiques. Et dans cette dynamique, l’Estonie s’affirme désormais comme un acteur de plus en plus influent au sein de la défense européenne.








